Pascal, pouvez-vous vous présenter, votre parcours, votre activité en quelques mots ?

Je suis né à Mazamet dans le Tarn, qui a longtemps été le centre mondial du délainage. La plus grande partie des élevages ovins exotiques ont été mis en place au 19ème siècle, toutes les peaux transitaient par Mazamet. Deux filières naissaient, la transformation de la laine et la transformation du cuir. Issu d’une famille d’éleveurs, j’ai grandi près d’une ferme. Mon père a travaillé dans l’industrie et moi je me suis retrouvé dans le tertiaire. J’ai donc toujours été sensible à l’ensemble de ces métiers et univers différents. J’ai été attiré très jeune par les métiers de la mode. J’ai pu connaître, par la suite, cet univers parisien de la mode et du textile, au travers de mon expérience chez Première Vision, et en tant que consultant aujourd’hui au sein de mon agence Made in Town. Cela m’a permis de développer une sensibilité particulière pour faire dialoguer ces trois cultures, qui peuvent sembler éloignées et qui ont en fait beaucoup de points communs.

Qu’est-ce qui a motivé la création d’un collectif autour de la laine ?

Au cours de mon parcours professionnel, j’ai pris conscience assez tôt que les produits, tout particulièrement les vêtements sont le résultat des efforts conjoints de beaucoup de métiers, de savoir-faire.
Ce qu’on l’on a tendance à créditer dans un vêtement, c’est plutôt la fin de la chaîne, alors qu’en réalité, c’est tout un monde, un écosystème. Si on n’y prend pas garde en mettant trop la lumière sur le créateur final, on finit par oublier cette notion d’écosystème vertueux. On a dévalué tous les maillons qui précèdent la fabrication finale du vêtement, la globalisation et la délocalisation ont accéléré ce processus. Tout l’enjeu pour notre société, c’est de recréer ce lien de solidarité entre tous les acteurs d’une filière.

Qu’est-ce que Tricolor ?

C’est avant tout un enjeu collectif, auquel Atelier Tuffery participe depuis le tout début. Tous les membres cofondateurs, constitués de 35 entités, éleveurs ovins, transformateurs industriels, acteurs de la création et de la distribution, territoires et marques partagent une même ambition : relancer la production des laines en France au sein d’un système local, vertueux, éco-responsable et juste. Tricolor rassemble donc ces acteurs de toute la filière pour un engagement autour d’enjeux communs : garantir la traçabilité de la laine, améliorer la qualité et accroître l’usage des laines françaises et promouvoir ses métiers et ses savoir-faire.

Et le lancement, après 3 années de construction du projet, a eu lieu le 25 novembre dernier, au sein du prestigieux Mobilier National, au cœur de la Manufacture des Gobelins, fondée par Colbert.

Quelle est son ambition principale ?

Faire passer de 4 à 24% d’ici 2024 la part de laine produite et transformée en France !

Quand et pourquoi vous êtes-vous intéressé à la laine française ?

Jusqu’en 2018, la laine française était exportée à 80% vers la Chine, avec aucune valeur ajoutée sur nos territoires avec deux conséquences :
– le coût de la tonte supérieur au prix de l’achat de laine,
– un fort courant de délocalisation et de désindustrialisation.
On assistait donc à une perte des derniers savoir-faire de transformation de la laine, notamment l’étape du lavage.
On sait que 14 millions de kilos de laine sont tondus chaque année ! Et cette matière, elle est là, pas besoin d’énergie spécifique pour la produire, le bon sens est donc de lui trouver la meilleure des valorisations. Cela permettrait de nourrir des territoires, le monde agricole, de créer un lien avec l’industrie et les métiers de la création.

Qu’a-t-elle de spécifique ?

La laine est une matière très particulière, naturelle, vivante, pas comme les matières synthétiques. On dénombre en France 58 races de moutons, une biodiversité très riche.
Chaque race a ses spécificités, en termes de couleurs, de finesse qui peuvent s’adapter à la décoration, à l’habillement…

Pourquoi ce projet a-t-il aussi une dimension écoresponsable ? Sociétale ? Environnementale ?

D’un point de vue écologique, la laine est une matière complètement biodégradable. Vous pouvez enfouir votre pull en laine sous terre, c’est un engrais naturel, qui contribue à régénérer le sol. C’est une merveilleuse alternative aux fibres synthétiques, issues du pétrole.

D’un point de vue humain et social, revaloriser la laine française permet de recréer du lien et des emplois.

Et d’un point de vue patrimonial, cela permet de garder notre spécificité nationale, ses paysages liés à l’agropastoralisme, classé patrimoine mondial de l’Unesco.

Ce n’est pas seulement une question économique…

Tout l’enjeu, c’est que ces élevages calibrés pour la viande et le lait donnent naissance aussi à une matière, la laine, qui aujourd’hui est encore trop considérée comme un déchet.

Quelles sont les difficultés principales de ce projet ?

©LePasseTrame

C’est un projet que nous n’aurions pas pu faire il y a 10 ans. Aujourd’hui, on ressent, plus que jamais, une prise de conscience de l’importance de travailler ensemble. Ces derniers mois, ces dernières années, on voit de plus en plus de projets qui adoptent une attitude collective. C’est peut-être là notre première difficulté. On connecte un monde, celui de l’agriculture où tout est déjà mutualisé, où il y a énormément de solidarité, de coopératif, à un monde, celui de l’industrie, où il y a plus de concurrence, d’attitude de défense. Notre challenge, c’est de transmettre ces valeurs d’entraide à l’industrie et aux marques, pour faire en sorte qu’on travaille ensemble.

L’autre écueil, plus complexe, réside dans le fait que l’on a depuis longtemps abandonné cette filière. On part de très loin, il faut au plus vite remettre en place de meilleures pratiques, pour améliorer la qualité des laines.

Enfin, on sait qu’il y a une vraie urgence, certains savoir-faire sont considérablement fragilisés. Beaucoup de partenaires sont en âge d’être à la retraite, et continuent pourtant car ils n’ont pas encore pu transmettre leur savoir-faire. Il faut recréer du lien avec la jeunesse, transmettre, pérenniser certains métiers fragiles, retrouver certaines connaissances perdues.

Quelles sont les premières petites ou grandes victoires de Tricolor ?

Atelier Tuffery a été une des premières marques à mettre sur le marché des produits finis en laine française. Puis, petit à petit on a pu compter jusqu’à aujourd’hui une vingtaine de marques, qui vendent des produits en laine de France. Le Slip Français a créé un pull, Bonne Gueule une série de manteaux. Un matin, je me suis retrouvé Avenue de l’Opéra, face à un passant qui portait une veste que je connaissais, fabriquée en laine française, tissée à Mazamet… Et là ça été une réelle émotion, de voir enfin ce chemin parcouru et ce vêtement dans la vie quotidienne…

 

Merci à Pascal pour cet échange passionnant !

Retrouvez toute notre ligne denim en laine locale sur notre boutique…

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